Témoignage de Paul, père d’Eva, jeune fille qui souffre de troubles bipolaires

Ne pas avoir peur 

Quand un psy m’a dit un jour « votre fille est bipolaire », cela m’a fait peur, car j’avais déjà quelques connaissances de cette maladie, à partir de lectures personnelles.

Elle avait 19 ans, étudiante en sciences éco, et s’était rendue d’elle-même aux urgences psychiatriques, sans préavis, du jour au lendemain. Elle m’a téléphoné de l’hôpital. Je lui ai dit « Tu as très bien fait. ».

Elle n’allait pas trop bien depuis l’âge de 13 ans, bizarre dans son comportement.

Elle a donc été hospitalisée pour « dépression sévère » pendant 3 mois, avec des sorties progressives, hôpital de jour, etc. La prise en charge a été super.

C’est à la fin de cette période-là que le diagnostic a été posé ; « bipolaire », un mot nouveau pour moi qui connaissais plutôt l’ancienne appellation, « psychose maniaco-dépressive ».

C’était une sorte d’étoile dans la maison

Ma fille avait un comportement d’ado en crise : par son look, son débit de parole rapide ; elle nous fauchait de l’argent. Parallèlement à cela, elle a un QI élevé, ses résultats scolaires étaient brillants, avec un an d’avance – elle a su lire très tôt.

Elle réussissait tout ce qu’elle faisait. Elle était capable de tout faire (elle est très douée), a fait de la musique à un niveau élevé. À l’extérieur de la famille, elle était la première, un modèle, pour les grands-parents, les voisins, les enseignants. C’était une sorte d’étoile dans la maison. Mais tout-à-coup, vers 12 – 13 ans, elle est devenue un petit démon, comme possédée, méconnaissable. Ce qui est surprenant, c’est quand elle s’est mise à nous « piquer » notre carte de crédit. Elle avait une frénésie de dépenses, sacs à mains, chaussures…

Dans le petit noyau familial elle était difficile, manipulatrice.

On nie la vérité

Le souci quand on est parent est de ne pas avoir de recul ; on nie la vérité, on couvre, on cache tout. Quand son attitude a empiré en seconde au lycée, on l’a mis sur le compte du passage difficile des ados. Et comme les notes allaient bien, on supportait.

L’autre aspect de son comportement, c’est son énergie, son courage. Elle a fait des petits boulots, très tôt à 17 ans, passé une formation de cariste après son hospitalisation, était hyperactive. En revanche, elle faisait une allergie à tout ce qui était administratif et était très négligente, accumulait les amendes (impayées !).

Sa maladie se traduisait aussi par ses looks, changeants, outranciers, coiffure, maquillage excessif. Elle avait beaucoup de mal à « doser » ; ce qui est contradictoire avec sa sensibilité par ailleurs – en musique, par exemple.

Tout cela avait un impact difficile sur la famille, mais nous avons tenu le coup. Les relations mère-fille sont toujours restées très bonnes, avec une bonne « connexion ». Pour moi, encore aujourd’hui, je peux avoir des heurts avec elle. Mais il ne faut pas que le lien affectif soit abîmé, même si on peut se disputer très fort. Par exemple, je n’ai jamais pensé à la mettre dehors.

Nous nous sommes faits accompagner chacun par un psy – moi, sa mère, sa sœur. Il ne faut pas avoir peur d’aller soi-même consulter, surtout pour ne pas rester seul. J’avais choisi de ne pas en parler au travail. Aujourd’hui cela va mieux, je peux en parler.

J’ai cessé de voir ma psy quand j’ai compris que je n’étais pas coupable.

Ce qui l’a sauvée, c’est le cheval, qu’elle avait découvert à l’hôpital psychiatrique. Elle a toujours adoré la nature et les animaux. C’est une passion pour elle et elle « revit ».
Elle respecte bien son traitement. C’est un pari que de faire confiance au malade. Malgré tout ce que j’ai lu sur les risques liés à la maladie, je lui ai toujours fait confiance, par exemple pour le respect du traitement. Elle a elle-même fait des tests de ne pas prendre ses médicaments, mais ensuite, elle y revient ; elle porte elle-même la gestion de la maladie ; elle reste rigoureuse sur cet aspect-là.

Elle a une excellente vision de sa maladie. Elle aime partager, elle adore s’occuper des gens. Elle pourra certainement être utile ensuite quand elle sera stabilisée après ses études. Elle veut être autonome financièrement. Elle n’a peur de rien, elle recherche toujours le plus difficile, le plus intense. Elle n’a pas de limite dans son activité.

Surtout ne pas couper les liens même si c’est difficile

En tant que parent, je dirai que nous sommes le refuge. Elle vient quand elle veut. Il faut surtout ne pas couper les liens même si c’est difficile. Il faut aussi faire attention au reste de la famille, car les malades polarisent toute l’attention ; sa sœur pouvait se sentir seule, négligée. Nous l’avons assez vite associée. C’est important pour l’entourage d’être ensemble ; c’est plus facile pour le patient quand il a un entourage solidaire, de ne pas se sentir exclu. De toute façon, nous sommes très « famille ». Les anniversaires, la cellule familiale, tout ceci est important pour nous.

Notre entourage d’amis proches ne savait pas exactement quel était notre problème, nous n’en parlions pas, mais ils se rendaient bien compte que quelque chose n’allait pas. Ils restaient discrets et empathiques.

Il faut en parler ensemble, être bien compréhensif avec ses enfants ; par exemple, quand ma fille m’a appelé de l’hôpital, cela montre qu’il y avait de la confiance entre nous.

Aujourd’hui ses amis lui servent de garde-fou, parce qu’elle reste fragile. Elle a beaucoup de sensibilité, d’intuition ; par exemple, quand elle est avec des gens qui eux-mêmes ne sont pas à l’aise, elle le sent, et cela la perturbe.

Tout ceci fait progresser sur le sens de la vie

Pour conclure, je dirai que tout ceci fait progresser l’entourage sur le sens de la vie. C’est quasiment une force ; on a un autre regard sur tout : le travail, la famille. On n’est- plus sûr de tout, cela laisse la place au doute et permet d’aller explorer ce qu’on ne connaît pas, l’instant présent. Je suis devenu plus positif, j’apprécie les choses très simples. Tout cela vous remet à votre place. On peut se mettre en colère, ou trouver la situation injuste. Moi je préfère voir les choses de façon positive. Cela rend plus fort. Par exemple, cela permet d’avoir une approche différente des épreuves, de relativiser. Cela vous fait acquérir une force.

Souvent, les parents réagissent mal par peur de perdre le contrôle, de ne plus pouvoir assurer la sécurité de l’enfant. La difficulté est d’accepter de ne plus avoir le contrôle, alors que c’est la finalité, quand on est parent…

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