Témoignage de Anne, jeune fille touchée par les troubles bipolaires

La maladie psy n’est pas une condamnation à mort

Ce que je voudrais dire : la maladie psy n’est pas une condamnation à mort. C’est possible d’atteindre une stabilité, même si les gens ne comprennent pas toujours pourquoi on fait ce qu’on fait ; l’essentiel est qu’on peut toujours prendre un nouveau départ ; on peut être autonome et indépendant, AVEC une maladie psy.

À mes 18 ans, j’ai fait une grosse dépression. J’ai déménagé du Sud pour la Lorraine pour mes études et surtout pour partir, car je n’étais pas à l’aise dans le contexte familial. Je n’aurais jamais eu la force d’aller demander de l’aide à un psy. J’ai toujours eu des soucis, par exemple des problèmes de colère, en grandissant, des problèmes d’automutilation, de prise de médicaments.

J’ai grandi dans un contexte familial très violent, j’ai subi des abus. Pour protéger ma famille je ne révélais pas tout ; mais je sentais qu’il fallait que je parte loin.

Toute seule en Lorraine j’ai fait une dépression. J’ai toujours eu un tempérament dépressif et pessimiste. J’étais en résidence étudiante ; je me suis fait des amis. On fumait ensemble, je cachais mes problèmes, ils ne s’en apercevaient pas. Mais je me négligeais. J’ai perdu 20 kgs, je ne mangeais pas, je buvais beaucoup de café. Je ne me suis pas droguée, juste un peu de cannabis. Mais je ne le fais plus à présent que j’ai un bon médicament. Le cannabis ne m’a jamais fait du bien ; je perdais la notion du temps, j’étais parano, j’avais des crises d’angoisse, la bouche sèche.

Ma dépression a duré de l’automne 2016 à juin 2017. Je pensais que cela allait s’arranger tout seul. L’été suivant, je suis rentrée chez mes parents. J’avais des pensées bizarres, mon optimisme montait, j’étais facilement énervée ou en colère. En septembre, j’ai redoublé. J’ai rencontré de nouveau amis, j’ai commencé à boire (du rhum, du whisky). J’avais énormément d’énergie (je faisais tout sauf mes études). Je suis allée voir des amis à Paris, puis, au retour, j’ai fait une décompensation1. J’ai fini par me dire que je devais être bipolaire. Il y a des moments de lucidité où on comprend qu’il y a quelque chose qui ne va pas. L’entourage a tendance à penser que c’est un problème de caractère. Déjà au lycée j’avais des moments de labilité2 émotionnelle ; de gros épisodes de colère. J’avais pris rendez-vous chez le psychologue de l’université, qui m’a dit que j’étais psychotique3 et m’a envoyée dans un centre de détection en février 2018. Ils m’ont fait passer des tests pour voir si j’étais psychotique. En juin 2018, je suis allée aux urgences psychiatriques à ma demande ; ils m’ont gardée juste 2 jours.

Il y a parfois des manques d’empathie ; « on ne peut rien faire pour vous. » « Vous ne voulez pas prendre de médicaments. » Je pense que j’ai essayé dix médicaments.

J’ai abandonné la fac. Jusqu’en avril 2019, j’ai été en service civique dans un collège. En avril, j’ai fait une tentative de suicide – prise de médicaments – je suis allée à l’hôpital toute seule, je n’en ai parlé à personne. À l’époque j’étais dans une relation toxique. Ma mère n’était pas au courant de ma situation ; j’attendais que tout aille mieux pour en parler. À l’hôpital, ils m’ont gardée à l’Unité F pendant 2 mois. Je m’occupais avec les ateliers, je regardais Internet. J’avais des permissions de sortie, j’allais voir mon copain (qui était toxique). À ma sortie, on m’a allégé mon traitement. Mais après ma sortie, je suis retombée en dépression avec cette relation.

Au CMP, je n’allais pas toujours aux rendez-vous. Je leur ai dit que j’étais bipolaire et que j’avais arrêté les anti-dépresseurs. On ne m’a jamais envoyée au Centre Expert. Le psychiatre semblait penser que les malades n’étaient pas capables de comprendre.

En février 2020, je suis retournée aux urgences psychiatriques de moi-même, car je sentais que je repartais en phase maniaque. Au moins là, ils ont bien vu que je faisais une phase maniaque. J’ai dû changer de psychiatre – j’en ai eu 5 ! Il faut faire équipe avec son psy ; j’ai trouvé « la » psychiatre qui me convient, depuis 4 ans.

En résumé, je suis une personne à peu près normale

J’ai choisi d’avoir un traitement où il reste des symptômes non visibles et assez bien contrôlés. J’ai une vie sociale, j’ai repris mes études, je fais des projets, je retourne dans ma famille ; ils ont compris que je suis malade.

Je n’ai pas eu d’aidant dans ma vie, je me suis débrouillée toute seule, ce n’est pas facile. Ce qui est compliqué dans les relations : rester soi-même. Quand je leur en parle, il y a des gens qui veulent trop en faire. Pour beaucoup de choses, je n’ai besoin de personne. Je sais m’occuper de mon quotidien. Le plus compliqué est de gérer les « down » à l’occasion de moments difficiles – par exemple les gens toxiques – après certains excès, par exemple le manque d’hygiène de vie : dormir, manger…

J’ai un job d’été : je suis directrice de séjours vacances pour adultes adaptés. Mon impératif est de me recentrer sur moi-même. La réaction des gens est souvent de s’éloigner. Ou bien, quand on est malade, on est infantilisé. Quand on leur dit qu’on est malade, les gens disent « Oh, cela ne se voit pas ; vous devriez arrêter vos médicaments ».

En résumé, je suis une personne à peu près normale. Avec des hauts et des bas un peu plus que tout le monde. J’ai toujours eu un tempérament assez fort, hypersensible. Si j’avais recommencé ma vie, aurais-je pu choisir de ne pas être malade ? Mon diagnostic m’a fait réaliser qu’il fallait que je prenne soin de moi et qu’il fallait que je me construise. Aujourd’hui, je vis comme s’il n’y avait pas eu tout cela. J’ai gagné en maturité ; je vois ce que j’ai été capable de faire pour m’en sortir. Je suis en accord avec moi-même. Par exemple, j’en ai fini avec les crises de colère ; les crises d’impulsivité ne sont pas moi, ne sont pas un trait de caractère. On peut être impulsif en temps de crise. On se met beaucoup trop de pression pour gérer, doublement chez les femmes. La violence chez les femmes est plus choquante que chez les hommes.

Les gens interprètent la sensibilité d’une personne ; il faut apprendre à gérer ses émotions, se concentrer. Je me rends compte qu’un épisode maniaque arrive quand je commence à déraper. C’est là le critère qu’on a soi-même quand cela commence à devenir excessif ou irritable. Il faut apprendre à prendre du recul et à se recentrer. Les humeurs déforment votre rapport au monde. Il faut savoir se remettre en question.

La maladie n’absout pas de tout

Il ne faut pas sur-protéger les malades. La maladie n’absout pas de tout. Les clés sont entre nos mains ; il ne faut pas materner les malades. Il faut leur donner des outils, des clés de compréhension pour qu’ils se sentent plus autonomes.

C’est une épreuve de la vie, comme toute épreuve – par exemple un deuil, des disputes, des événements négatifs. Ils nous font grandir. Parfois, on a l’impression qu’on ne va jamais s’en sortir. Il faut trouver l’équilibre entre se reposer sur l’entourage et se reposer sur soi-même. La responsabilité personnelle est super-importante.

Maintenant ma famille est là pour moi.

Oui, on peut se créer une vie dont on a envie, satisfaisante et épanouissante.


1 En psychologie, la décompensation désigne l’effondrement psychique d’une personne, après une crise interne, un contexte dangereux ou délétère, une épreuve inattendue, une confrontation à la mort…

2 Variabilité et instabilité des manifestations émotionnelles, qui peuvent osciller rapidement entre des débordements de joie, la tranquillité et des décharges spectaculaires de colère ou de larmes.

3 Se dit d’une personne souffrant d’une maladie mentale dans laquelle cette personne n’a pas conscience de son trouble.

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