Témoignage de Françoise, maman de Nadine

19 juillet 2016

J’aime beaucoup lire, mais essentiellement des ouvrages de témoignages. C’est le récit de l’expérience vécue des autres qui m’intéresse le plus. Des combats de vie apportent beaucoup pour soi-même, la compréhension d’autrui et notre rapport aux autres.

Aussi je vous livre mon témoignage personnel. Le récit de notre histoire, avec notre fille Nadine, qui a été diagnostiquée bipolaire. Je voudrais montrer combien il est important que les médecins soient attentifs à l’histoire de la famille tout entière, et qu’ils ne s’arrêtent pas juste à la personne hospitalisée pour troubles psychiques.

Je voudrais dire en premier lieu, qu’à mon avis une partie du problème de Nadine vient de son enfance. Moi, sa mère, j’ai été toute ma vie une personne extrêmement anxieuse, perfectionniste, obsessionnelle pour mon travail. Je souffrais de névrose. De plus, malgré l’amour qui nous unissait, mon mari et moi avons vécu des conflits personnels qui nous ont dépassés. J’étais consciente que cela aurait des conséquences, des problèmes, pour nos enfants. Pour moi, ce contexte de vie familiale et majoré par mes soucis de travail et de santé est à la base des problèmes de Nadine,

Nadine est née prématurée à moins de 7 mois; elle a dû être réanimée. Pendant son enfance elle a aussi eu beaucoup de problèmes de santé, des accidents…

La maladie de Nadine s’est franchement déclarée à la naissance de son bébé quand elle avait 25 ans : une septicémie quelques jours après l’accouchement. Mais elle a aussi décompensé, avec des hallucinations. Mon mari et moi nous sommes venus la voir, nous nous sommes présentés devant les médecins qui m’ont posé juste une question: «Avez-vous déjà été hospitalisée en établissement psychiatrique?» J’ai répondu oui, car en effet, plus jeune, j’avais été soignée précisément pour épuisement. Là, cela a été une fin de non-recevoir. Les médecins n’ont pas cherché à comprendre davantage, il n’y a plus eu d’entretien, et on nous a interdit de rendre visite à notre fille, sans doute soupçonnés d’être à l’origine de ses problèmes.

Cela a duré 4 jours. Quand Nadine est sortie de l’hôpital, nous avons passé quelques semaines avec elle chez elle pour l’aider.

Nous nous sentions impuissants

J’ignorais le degré de gravité de la maladie de Nadine. Je n’ai pas vu au premier abord qu’il fallait l’hospitaliser. C’était une grosse dépression post-partum, une psychose puerpérale

Les médecins ne prenaient pas en compte le témoignage de ses parents. Nous nous sentions impuissants. Notre fille avait des hallucinations, mais il n’y avait aucune explication de la part des médecins; c’était comme s’il y avait eu un filtre entre eux et nous. Pour ma part, j’avais assimilé le problème de Nadine à ce que j’avais vécu lors de mon propre épuisement-hallucinations exceptées. Je culpabilisais énormément. Mais les médecins ne cherchaient pas à savoir.

Quand nous avons quitté Nadine pour rentrer chez nous, j’étais très préoccupée mais j’avais toujours l’espoir que sa situation s’améliore car je suis quand même une personne positive. Je ne paniquais pas outre mesure mais j’étais angoissée et portais sur moi la culpabilité de la situation. J’osais espérer que cette situation s’arrange au mieux.

En fait il faut considérer notamment pendant l’enfance et l’adolescence de Nadine, que nous étions toutes les deux dans nos maladies respectives. Nadine nageait dans sa propre maladie, et moi dans la mienne et dans mes conflits.

Jamais le terme de «bipolarité» n’avait été prononcé. Les médecins ne faisaient pas parler les parents. C’est Nadine, en définitive, qui a tout découvert par elle-même, en faisant des recherches pour essayer de comprendre pourquoi elle n’allait pas bien. Ce n’est pas nous ni les médecins qui l’y ont aidée. Pour eux, Nadine était dans l’ombre de sa mère: nous étions semblables. Alors qu’en analysant les évolutions de son humeur, on aurait vu que

cela correspondait aux troubles bipolaires. Il a fallu qu’un jour elle trouve l’adresse du Professeur Debré à Paris et aille le consulter pour que le mot soit prononcé.

Nous nous sommes «dépatouillés» par nous-mêmes

Nous n’avons pas été formés à cette maladie. Encore aujourd’hui il m’arrive de me poser la question: est-ce bien la bipolarité ?

A ce jour, je pense que je ne pourrais pas faire autrement que ce que j’ai fait à l’époque. Je culpabiliserais toujours autant des problèmes d’enfance de Nadine, pour lesquels moi-même je ne pouvais pas trouver de solution. C’est aussi en partie la conséquence de ma propre enfance. J’ai hérité du caractère de mon père, qui était lui-même déjà super angoissé dans son travail. J’avais la même attitude sur ce plan. Quand je ramenais et mon angoisse du travail et le travail lui-même avec moi à la maison, je ne pouvais pas être assez disponible pour mes enfants. J’essayais bien de faire le maximum, mais j’étais épuisée. Et pendant ce temps Nadine cachait des problèmes qu’elle avait ailleurs, et que je n’ai pas pu voir.

Il est extrêmement important que les médecins écoutent tous les différents intervenants

Si, quand Nadine est tombée malade, j’avais pu expliquer tout cela aux médecins, nous aurions gagné du temps. J’ai pensé que ce qui atteignait Nadine était la suite logique des choses. J’en étais mal, mais j’espérais que les événements positifs de la vie l’aideraient à aller mieux. Nous nous sommes «dépatouillés» par nous-mêmes. Je pense que je n’ai pas eu l’attitude qu’il aurait fallu adopter par rapport à Nadine enfant. Mais comment le pouvais-je, étant prise moi-même dans mes problèmes et pensant fermement que tout ne pouvait malheureusement que s’enchaîner. Nous avons eu des heurts par incompréhension. Nadine m’en voulait de ne pas avoir vu pendant son enfance qu’elle avait de gros problèmes à gérer. De mon côté, j’étais à cran, épuisée nerveusement.

Aujourd’hui que notre vie s’est bien stabilisée, je veux dire qu’il est extrêmement important que les médecins écoutent tous les différents intervenants. Pour nous, nous avions chacune notre psychiatre, et il n’y a pas eu d’échanges ni de coordination entre eux, ce que je peux déplorer.

Une prise en charge globale et coordonnée

Une autre chose aussi : à l’époque, on ne parlait pas de «pédo-psychiatre». Malgré les problèmes vécus pendant son enfance, nous n’avons pas conduit Nadine en consultation psy, mais dans mon for intérieur je pensais qu’elle n’y échapperait pas en étant adulte, qu’il y aurait de toutes façons des conséquences à ce qu’elle avait vécu. Mon mari essayait toujours de me rassurer sur ce point. Nous avons fait également l’erreur courante de mettre les problèmes sur la relation mère-fille, sur le compte de l’adolescence.

J’ajouterai que j’avais, à la suite d’une hospitalisation de Nadine, tenté d’expliquer la situation aux médecins : j’ai été certes écoutée à l’entrée mais ensuite ni convocation de leur part, ni de conclusions à la sortie de l’hospitalisation. Donc il faut INSISTER et ne pas se laisser intimider en ce domaine même si on se sent en moindres connaissances que les médecins ou en état d’infériorité nous-mêmes sur plan psychique comme je l’étais à l’époque.

Enfin, la bipolarité étant une maladie au diagnostic relativement long, il eût été judicieux de réunir les différents éléments pour constituer un dossier solide comme c’est le cas pour des problèmes autres que psychiques. A qui appartenait-il de «monter» ce dossier? A nous-mêmes, parents, de notre côté? Aux médecins? En tout état de cause, une prise en charge globale et coordonnée eût été nécessaire. Les familles doivent donc – et ce sera ma conclusion – se battre à ce niveau.

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