J’ai appris à piloter la maladie

Témoignage de Francis, bipolaire de niveau II.

Aujourd’hui âgé de 72 ans, je vis avec ma bipolarité, mise en évidence il y a plus de 20 ans.

Plus exactement, j’ai appris à piloter la maladie.

Avant, je devais être en phase maniaque avec tous les succès et le confort qu’elle génère.

La maladie est toujours là et le sera toujours, et elle génère toujours des phases maniaques et dépressives, malgré le traitement médicamenteux qu’il faut en permanence « ajuster ». Cela me paraît normal, car les événements de la vie peuvent prendre de l’ampleur sur le terrain favorable de l’hypersensibilité émotionnelle.

Dominer la maladie, c’est parvenir à ce que ces phases soient courtes, distantes, peu répétitives, non sévères en intensité, voire qu’elles disparaissent.

Aussi le pilotage de la maladie ne peut être mis en place dès l’apparition de symptômes l’identifiant, tant l’exercice nécessite un certain recul et une expérience pour bien identifier les variations d’humeur, les facteurs déclenchants, mais il est assez aisé d’y parvenir rapidement.

L’objectif est de dominer la maladie, de la prendre en main pour la gérer.

Ce pilotage est un complément très efficace aux traitements médicamenteux qui doivent impérativement être pris sans défaillance.

C’est la base et c’est essentiel.

Pour cela, il me paraît indispensable qu’un tiers, une infirmière pour moi, vérifie quotidiennement la prise de médicaments, surtout en phase down, la plus difficile à gérer, à enrayer. Il me paraît qu’il faille mettre en place ce contrôle contraignant. Le vouloir et l’accepter sans dérogation.

C’est le premier instrument de mon poste de pilotage. L’utilisation d’un pilulier bien rempli selon la bonne prescription médicale (elle peut évoluer) permet une lecture quasi immédiate de la bonne prise.

La mise en place d’une main courante est une aide précieuse au pilotage. Je la renseigne tous les jours, voire toutes les semaines, et elle contient les critères que j’ai retenus pour piloter et renseigner les « instruments de bord ».

Les miens sont :

— La durée et la qualité du sommeil, l’état au réveil.

Critère reconnu par tous comme essentiel

— Les événements marquants (contact difficile, préoccupation, ruminations etc et grandes joies, excès en tous genres et tous les accidents de la vie)

— Ressenti de la fatigue et existence d’une multitude de projets.

Cette lecture des clignotants permet de voir venir une phase down ou up, d’identifier les facteurs déclenchants et de connaître les moments de mise « en danger » pour les prévenir.

Cette main courante doit très simple à renseigner, de façon très courte et j’en donnerai un exemple en annexe.

J’ai à tort accordé beaucoup plus d’attention aux instruments qui m’expliquaient à posteriori une phase down (cette explication pouvant avoir pour effet d’anticiper une nouvelle phase down) qu’à ceux parfois ignorés qui annonçaient ou mettaient en évidence une phase up. Car cette phase up est tellement confortable qu’elle peut ne pas être perçue ou bien perçue comme une « guérison ».
Or pour moi, c’est la phase up qui est la plus dangereuse, génératrice d’une phase down d’intensité supérieure et parfois sans répit entre deux vagues.

Ce pilotage doit être quotidien, sans pause, comme celui d’un avion sans cesse en vol et en danger lorsqu’il n’est pas piloté, même par un pilotage automatique qui nécessite toujours un minimum de contrôle.

Avec l’expérience, ce pilotage devient aisé, rapide (quelques minutes par jour pour lire les instruments de bord et prendre les décisions qu’ils proposent).

Le plus délicat est de retenir les bons items (qui peuvent varier dans le temps), donc d’apprendre à se connaître soi-même avec justesse, sans arrangement avec la vérité, donc sans concession.

Le juste regard porté sur moi-même, de plus consigné par un écrit simple et répétitif, est pour moi une excellente façon de piloter ma bipolarité.

Pour y parvenir, j’ai inclus dans mon tableau de bord l’intervention, à une fréquence qui varie selon les turbulences, d’un psychothérapeute. À mon avis, les médecins psychiatres ne peuvent consacrer le même temps de parole et d’échanges qu’un psychothérapeute qui n’a pas la charge de mettre en place un traitement médicamenteux.

Piloter sa bipolarité, c’est mettre en place les instruments du tableau de bord, les renseigner sans relâche et en agir en conséquence (ce qui est très difficile dans une phase down aiguë qui ne permet plus d’agir). Mais au moins dans ce cas, il est peut-être possible d’évaluer un éventuel facteur déclenchant pour autant que la maladie ne soit pas considérée comme autonome.

Chacun retiendra des éléments propres à son vécu et à sa personnalité pour construire son tableau de bord. La démarche et le succès qu’elle entrainera m’ont conduit à mesurer l’intérêt de ce pilotage pour moi.

De façon générale, retenir l’image d’un pilotage est une façon pratique de dominer la maladie et devrait pouvoir interpeler chacun.

Le vol peut être sans turbulence si le pilote a mis en place les instruments de mesure les mieux adaptés et qu’il ne détourne pas le regard du tableau de bord, surtout dans l’euphorie d’un temps ensoleillé, sans nuages et à grande altitude.

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