Il n’est pas de mots assez audacieux pour décrire les maux qui mènent à cette inévitable solitude.
Je suis un pommier et mes cycles de vie s’enchaînent à des vitesses irrégulières , plus ou moins courts ou plus ou moins longs mais toujours entremêlés.
Les saisons s’enchaînent en une course folle et aléatoire et c’est ainsi que prennent racines la controverse, l’étrange dualité d’un vice et versa.
L’été
Ils me disent magnifique.
Le feuillage est verdoyant ; le tronc fort et fier ; les pommes vermeilles .
Se doutent-ils des brûlures du soleil ? La terre, à force de sécheresse, est exsangue.
Les journées sont longues et il faut veiller tard.
Les branches du pommier plient sous le poids des fruits tant admirés.
Il s’épuise.
« Je vous ai séduits. J’ai accepté vos normes et vos codes. J’ai brillé en société et répondu à l’ensemble de vos attentes. Je suis fatiguée. Je commence à me perdre. Je tiendrai bon.
Ou pas. »
L’automne
C’est une succession de petites morts.
Les fruits, pleins de si belles promesses s’amenuisent et se ratatinent en amas olivâtres. Le pommier n’en peut plus de ses efforts des beaux mois d’été. Il se relâche pour un peu de repos et se dénude de son incroyable apparat. Les feuilles et les fruits tombent. Certaines branches ont cédé sous le cliquetis de la pluie et le souffle du vent. Une odeur de moisissure se développe au pied du tronc.
Le pommier souffre.
Le pommier crève.
« J’ai tenté de vous expliquer. Vous ne me comprenez pas.
D’où vous vient cette imperméabilité ? Manquez-vous de sensibilité ? Suis-je la seule à crever ?
Vous me jugez ?
Sachez que dans ma détresse, je vous juge aussi.
Allez vous faire foutre. »
L’hiver
Il n’y a plus d’effort à fournir.
Nature presque morte.
Pas tout à fait .
La sève du pommier est figée.
Il n’a ni chaud, ni froid.
Le temps passe.
Tout simplement.
« Je suis tétanisée. Ai-je encore la capacité d’éprouver des remords ? De la joie ? Je voudrais y réfléchir. Si j’y parviens… »
Le printemps
Et c’est une étincelle qui s’éveille dans le cœur du pommier.
Cette petite poussière de lumière devient feu, puis incendie. Le pommier offre alors pour plaire, mille bourgeons aux tons délicats et des bouquets de fleurs aux parfums enivrants.
Le tableau est une cascade de couleurs enjouées.
Et ce n’est jamais suffisant.
L’arbre promet d’être un refuge.
Bien sûr, il fournira un coin d’ombre pour les fortes chaleurs.
Bien sûr, ses fruits seront les plus beaux et les plus juteux.
Bien sûr, il sera le plus bel arbre tout l’été.
« Voyez tout ce dont je suis capable.
Pardonnez-moi… »