Témoignage de Marie, 25 ans, fille de Isabella, 55 ans

Le message que je voudrais transmettre par mon témoignage serait plutôt destiné à l’entourage d’un malade bipolaire, qu’au malade lui-même.

Je dirais, pour aider le malade, ce que je recommanderais aux gens qui l’entourent, est d’être très persévérant car cela peut très vite devenir désespérant et on peut se retrouver dans des situations dont on a l’impression qu’elles sont sans issue.

Avoir une bonne connaissance du milieu médico-social

Alors qu’il existe des issues bien sûr. Aussi ce que je recommande, pour comprendre cela, est d’avoir une bonne connaissance du milieu médico-social. Quelque part, la maladie va affecter la vie sociale du malade beaucoup plus que sa santé. J’ai pu le constater dans le cas de ma mère. C’est vrai que physiquement elle n’était pas malade comme si elle avait eu une maladie grave tel un cancer. Mais c’est socialement qu’elle se mettait en danger, et du coup mettait aussi en danger ses enfants – par exemple en invitant chez elle de parfaits inconnus. Il est donc important de savoir qu’il existe de l’aide, des assistantes sociales – certes il y a des médecins, mais leur pouvoir d’action est réduit, et ils sont tenus au secret médical avec un patient majeur. Dans le cas d’un patient mineur, il est moins facile de poser le diagnostic. Il semble que ce soit une façon de faire typiquement française : face à un patient mineur, le diagnostic n’est pas posé de façon définitive ; « Cela ne se fait pas », parce qu’on hésite à verrouiller l’enfant dans un diagnostic. Mais cela crée le problème de ne pas le prendre en charge correctement. L’enfant est soigné pour les symptômes, mais on ne prononce pas le diagnostic.

Un bélier qui défonce les portes

Quand je dis qu’il faut bien connaître le milieu médico-social, je veux dire qu’il faut être préparé à une certaine part d’ignorance chez des personnes que l’on croit être là pour nous aider. Ce n’est pas facile à gérer. Mais si on y est préparé on devient un bélier qui défonce les portes. On ne sera pas étonné de l’ignorance ou de la condescendance un peu exaspérante de la part de la police, de rencontrer certains médecins qui se disent impuissants, des assistantes sociales qui disent ne pas pouvoir faire grand-chose. On leur explique la situation, et sa gravité. Finalement, c’est cela qui va permettre d’aider le malade.

Rompre le cercle vicieux

Pour moi, il est donc important de s’informer sur ce milieu des psychiatres, des assistantes sociales, et aussi de s’informer sur l’internement d’office. C’est peut-être un peu brutal, mais c’est parfois nécessaire. Pour nous, dans notre famille, cela aurait créé la rupture d’un cercle vicieux. Par deux fois nous avons essayé de faire interner ma mère. La première fois c’est mon beau-père, désespéré, qui a appelé le médecin parce qu’elle était en crise. La deuxième fois c’est moi – je devais avoir 17 ans – qui ai demandé à ma sœur de me soutenir : « Viens me chercher, maman pète un plomb, viens, on va essayer, on verra ! » Elle hésitait mais finalement elle est venue. Malheureusement cela n’a pas fonctionné parce que quand le médecin est arrivé ma mère a adopté devant lui un comportement normal. Et c’est nous, les enfants, qui avons été considérées comme des enfants indignes, accusés d’infliger de mauvais traitements à notre mère !

Ce qui m’a le plus aidée dans ce genre de situation, c’est la persévérance, une foi inébranlable dans les actions pour faire cesser le cercle vicieux existant. Il y a beaucoup de manipulation de la part de certains malades. Combattre une situation de bipolarité nécessite selon moi de bien connaître son environnement médico-social, donc : les médecins, généraliste ou psychiatre, la police… Il faut se forcer à faire des recherches : quelles sont les options ? Qui peut faire quoi ? Il ne faut pas avoir honte de mettre en œuvre certaines options. Il faut faire preuve de « froideur » : quand on est en plein dedans, qu’on vit une crise ou une manipulation par le malade, il est très difficile de prendre du recul, de garder la tête froide. Il faut garder son calme quand la police vient vous chercher à cause d’accusation de coups… Sinon on alimente la maladie, son côté pervers. Au lieu d’entendre des phrases méchantes et culpabilisantes, il faut décrypter ces phrases : « Je veux que tu te sentes coupable ! » Le problème est que l’on ne se rend pas compte de cette manipulation.

Il vaut mieux que l’entourage ne reste pas coi, qu’il fasse des recherches pour s’informer, ne néglige pas des pistes. Pour moi, cela m’a beaucoup aidée. Quand j’essayais de faire comprendre que j’étais en danger, j’ai dû forcer la porte des assistantes sociales. Dans mon discours je restais très factuelle, j’essayais de ne pas critiquer ma mère, de ne pas la faire passer pour folle. Je voulais sortir du cercle vicieux des accusations mutuelles.  On risque de se retrouver dans le rôle du persécuteur à blâmer.

Savoir s’éloigner

J’aurais un autre conseil pour l’entourage du malade, au risque de choquer : ne pas hésiter à s’éloigner si l’on se sent soi-même en danger. C’est dur à dire si on est un proche dans la famille. Parfois il vaut mieux prendre de la distance littéralement pour casser certaines choses qui sont en place. Je sais que c’est en contradiction avec l’idée de persévérance, mais si on se sent en danger il faut savoir s’en sortir. Il faut créer rune rupture.

Après avoir pris de l’éloignement, on se reconstruit soi-même, on reprend ses esprits, de la force en réserve. Ensuite on est mieux à même de forcer le patient à accepter une prise en charge. On supporte les scènes de façon différente, on peut mieux gérer les soucis que la maladie engendre : avec la police, la justice, les accusations de maltraitance…

Sentiment de culpabilité

Dans mon cas, j’avais toujours connu ma mère comme cela. Je n’osais pas la remettre en cause. Il y avait toujours des crises, des disputes, de la jalousie, des cadeaux à outrance pour que je me montre hyper reconnaissante puis des reproches parce que je n’étais pas assez souriante. Elle était tout le temps mécontente, se plaignait qu’on n’avait pas assez d’attention pour elle, elle était jalouse de mon attachement à mon père. Quand on est enfant et qu’on est né là-dedans, et qu’on descend ses parents de leur piédestal, qu’on commence à se demander si sa mère n’est pas folle, c’est culpabilisant. On a un sentiment d’anormalité, de décalage avec le reste du monde, que j’ai essayé d’enfouir très profond en moi car c’était trop dur à se dire. Pendant les périodes de très grosses crises une partie de moi pensait que quelque chose n’allait pas, et l’autre partie le refusait. Puis j’ai grandi ; je le gardais pour moi ; et j’ai fini par le reconnaître et l’accepter. En tant qu’enfant on ne conteste pas son parent, c’est très dur. C’est dur aussi dans un climat de suspicion, de maltraitance et d’abandon.

Communiquer

Il est important de parler avec les autres personnes de l’entourage de tout ce que la personne a dit ou a fait ; c’est là qu’on se rend compte de gros mensonges quotidiens qui roulent tout seuls parce que personne ne se parle. Par exemple, je ne suis pas allée au baptême de ma nièce – alors qu’il était convenu dès la grossesse que je serais la marraine –  parce que ma mère m’avait dit que ma sœur ne le souhaitait plus. J’en étais vexée et du coup je n’ai pas assisté à la cérémonie. Ce n’est qu’au bout de cinq ans que j’ai appris par ma sœur qu’elle croyait, de son côté, que je ne voulais plus être la marraine de sa fille. C’est donc en parlant de ce baptême quelques années plus tard, que nous nous sommes expliquées et que nous avons compris. Cela m’avait vraiment affectée car j’aime beaucoup cette petite fille. C’est un exemple typique d’anecdote. Pourquoi ma mère avait-elle fait cela ? Par jalousie, parce qu’elle voulait toujours être le centre des attentions ?

Le terrain de jeux favori du malade manipulateur est le flou, le mensonge, le manque de communication entre les victimes de la manipulation. Chaque non-dit, chaque zone d’ombre est exploitée à 100% par le manipulateur. Donc, parler de manière factuelle de ce qui s’est vraiment passé permet d’éliminer les zones d’ombre, de ne pas se sentir coupable, de ne pas souffrir de la médisance. Poser les choses de manière factuelle, c’est presque thérapeutique.

Du coup tout le monde est beaucoup plus au clair et peut prendre les « bonnes » décisions. Évidemment cela ne va pas comme sur des roulettes si le malade se rend compte qu’on se ligue contre lui (à son idée) et cela engendre une réaction beaucoup plus forte. Mais dans certains cas cela permet à l’entourage de reprendre le contrôle de la situation. Parfois même si l’entourage s’éloigne, c’est un choc pour le malade qui peut se remettre en cause – c’est le cas de ma mère, en tout cas, mais je me rends bien compte que ce n’est pas forcément le cas chez tout le monde.

Semer ses petits cailloux

Il faut bien connaître ses droits : semer ses petits cailloux, déposer des mains courantes. Il ne faut pas se sentir coupable et prendre la responsabilité de la maladie. Si on a de la chance les policiers peuvent regrouper toutes les plaintes et on pourra passer de l’émotion aux faits, surtout si tout le monde a le même discours.
Quand j’étais gamine, la police n’a pas accepté de prendre ma plainte : « Retournez chez votre mère, vous êtes mineure, on passera faire des rondes dans votre quartier et si on la prend sur le fait, on agira. »

Aujourd’hui ma mère est stabilisée. Quand elle s’est retrouvée toute seule, sans enfants ni amis fiables, elle a eu la chance qu’une cousine soit arrivée, avec sa force toute fraîche, sa persévérance, sa force mentale et physique, et qu’elle l’oblige à se reprendre : se lever, se laver, ouvrir les fenêtres, manger, aller chez le médecin se faire soigner. Je n’ai pas beaucoup de détails car à cette époque-là nous ne communiquions plus. Pendant les périodes de dépression la cousine était là pour l’aider et l’assister comme une infirmière. Elle a une grande capacité de travail, regorge d’énergie, de ressources, de confiance. Elle est arrivée à un moment où tout le monde était à bout – c’était la garnison de renfort ! Elle est très persévérante et a de l’autorité. Elle a su lui tenir la main.

Respecter son traitement à la lettre

Cela fait environ 2 à 3 ans que ma mère est stabilisée. Elle respecte son traitement à la lettre et cela se voit. On lui fait confiance – de toute façon elle ne pourrait pas dissimuler.

Cela me soulage, car j’avais de la peine de la savoir égarée entre sa souffrance et ses manies. Nous avons perdu environ sept ans de contacts. Nous avons renoué la relation récemment. Elle a l’air plus heureuse, avec une meilleure maîtrise d’elle-même, situation qu’elle ne connaissait plus depuis très longtemps. Elle est devenue une personne agréable, très gentille, très tempérée, avec de la conversation, et que j’apprécie.

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