Témoignage de Jean

Mon ennemi c’est moi

En 1967 en rentrant du collège, j’avais neuf ans ma mère m’annonce en sanglots le décès de mon père, un arrêt cardiaque. Ma mère nous éleva seule, mes deux frères et moi. Elle ne s’est jamais remise du décès de mon père. Elle pleurait souvent et elle était dépressive.

En 1971 je réussis le CAP d’électromécanicien et en septembre, je rentre dans la vie active à 17 ans, dans la sidérurgie. Ce n’est pas le métier que j’aurai voulu faire mais j’ai un travail.

En 1985 j’avais 30 ans, ma vie professionnelle se déroule, sans problème. Par contre, J’étais célibataire, par ma faute, je n’ai jamais eu une liaison durable, j’étais timide et complexé. A cette période la solitude m’envahissait, j’étais en quête d’identité, mal dans ma peau, une faible estime de moi, un mal être aussi. Je ne sortais plus, j’étais dépressif.

En 1986 tout bascula avec l’imprévisible irruption d’une forte crise d’exaltation. Début Mars je retrouve Le moral, du jus, la forme, je recommence à sortir, boire de l’alcool, sortir avec les copains, repris contact avec d’anciennes amies.

Tout allait bien – du moins je le pensais !

Je me sentais bien, j’étais euphorique puis me vient en tête un gros projet. En effet je voulais créer une entreprise. Je me voyais chef d’entreprise. Ma rencontre avec ancien copain, à cette période pour lequel je fis un gros emprunt (il me remboursa l’argent comme convenu) a été anxiogène pour moi. Cela a été un élément détonateur.

En avril je prends des congés expliquant que je crée une entreprise. J’étais agité, exalté, agressif avec le sentiment de toute – puissance et d’incivilité me croyant investi d’une mission. Je dormais peu, sortais beaucoup, buvant beaucoup d’alcool, dépensant sans compter dans les cabarets, pour assouvir mon libido. J’ai changé de voiture, acheté un téléviseur ainsi qu’un ordinateur en autres. Mon délire était de plus en plus profond, je n’avais plus d’agent non plus, et des problèmes avec ma banque…

Fin avril je reprends le travail, j’ai perdu la raison, j’insulte tout mes collègues de travail, me voyant toujours chef d’entreprise. je vais de plus en plus mal. Personne n’arrivait a me raisonner.

Début Juin j’ai une convocation pour me rendre au pavillon médical, vers le 15 juin j’ai un accident de voiture en étant alcoolisé. (Heureusement que des dégâts matériels).

Le lendemain je me rends à la médecine du travail et on m’emmène chez mon médecin traitant, qui me fait une lettre pour l’hôpital. Je suis hospitalisé à l’hôpital psychiatrique de Colmar.

Septembre 1986, je suis resté hospitalisé pendant près de trois mois, en sortant je me rends compte des dégâts, je n’avais plus d’argent, mais des dettes, plus de voiture ni de permis. Mon employeur me reprenait parce que je n’avais aucun antécédent. Évidement je n’avais plus les mêmes fonctions.

J’étais suivi par un psychiatre, mais je n’en voyais pas l’utilité. J’avais le regard dans le vide, absent, j’ai voulu mettre un terme à mes jours. J’ai repris le travail, tout honteux de mon comportement, faisant ce que je pouvais, à savoir pas grand chose.

J’étais devenu un malade mental, un assisté, une loque. J’étais en grande dépression, plus de force. J’avais peur du regard des autres, peur de tout. J’allais au travail, en rentrant peu après, j’allais au lit prenant des somnifères et j’avais toujours des idées noires, en me disant si seulement il n’y avait pas demain. Pourquoi vivre quand on est dans cet état… Fin décembre mon psychiatre me propose une hospitalisation pour me remettre sur pieds mais je refuse. A quoi bon me dis je ? Je ne voyais pas d’issue, pour m’en sortir.

Juin 1987 Je retrouve du jus, le mental va mieux la santé aussi, ainsi que les finances, j’achète une voiture d’occasion, la vie reprend. Le 13 juillet au soir je prends trop de somnifères et je me réveille le 14 juillet au centre hospitalier de Colmar.

(Ma mère me trouva allongé par terre, elle appela le médecin ; ma mère a tout fait pour moi dans les moments difficiles, sans elle je ne serai plus là) Je reste hospitalisé une quinzaine de jours, en sortant j’ai une grande énergie, une grande activité au travail, le moral, la forme et la santé retrouvés.

Tranquillement mais sûrement je recommence à profiter de la vie, ma vie. Mon humour revient aussi, même s’il ne m’avait jamais vraiment quitté …. (J’ai pris des congés pour la durée de l’hospitalisation ne voulant pas être à nouveau en maladie). Mais ce n’était pas une grippe que j’avais eue, il fallait que je vive désormais avec ce qui m’était arrivé. L’anxiété, l’angoisse, les cauchemars, les tremblements m’accompagneront toujours.

Avril 1988 je suis à nouveau au ralenti, plus d’énergie, envie de rien, dépressif, la moindre tâche est remise à plus tard, je culpabilise. Je ne comprends pas pourquoi je suis au ralenti : je pensais que la dépression ne m’atteindrait plus.

Décembre 1988 je suis exalté et je me trouve à nouveau hospitalisé trois semaines. Pas de conséquences, grave, sur le travail, ni du point de vue financier.

Puis une nouvelle période de reconstruction, mais je suis décidé à m’accrocher à la vie.

Décembre 1989, une courte période d’exaltation et une nouvelle hospitalisation de deux semaines en fin d’année. Ce sera la dernière jusqu’à 2014.

Je ressens cette hospitalisation comme un échec. Je ne comprenais toujours pas ces longues périodes dépressives et ces courtes périodes d’exaltation, souvent dévastatrices. Ensuite une période de rémission et de reconstruction.

Après chaque hospitalisation, j’étais seul, personne à qui parler, même pas à mes amis, on me voyait différemment : je suis un malade mental, je fais peur.

Le pire c’est le regard des autres

1991 : je suis mis sous lithium par mon psychiatre, qui m’explique que je devais toujours prendre ce médicament, que c’est un régulateur. Au début je prenais pas ce thymorégulateur comme je le devais, ne croyant pas à tous ces bienfaits, je ne savais pas non plus que j’étais maniacodépressif. (Mon psychiatre me parlait de la maladie comme si c’était tabou.)

Puis, ma rencontre avec celle qui allait devenir plus tard mon épouse – un bon « régulateur » en tout cas un bon équilibre, sa rencontre me fit beaucoup de bien. Ma santé mentale va mieux mais les tremblements sont un handicap dans ma vie professionnelle et personnelle. Trembler en me servant d’un tournevis ou en levant un verre par exemple.

Je ressens les bienfaits du lithium, plusieurs mois après, les hauts et les bas sont atténués. Les phases (hypomanie et manie), j’arrive maintenant à les contrôler.

A partir de mes expériences, j’ai appris à identifier mes limites, à avoir un mode de vie sain et à gérer mes symptômes qui sont encore présents.

J’ai appris à accepter les phases dépressives sachant que des jours meilleurs finissent par arriver tôt ou tard. Les saisons ont aussi leur importance, souvent euphorique au printemps et à l’automne déprimé. Le plus dur a été après chaque hospitalisation en période de rémission, de se reconstruire à nouveau. J’ai vécu des expériences traumatisantes, et j’en subis les conséquences. Je culpabilise, et comment repartir avec les bêtises que j’ai pu dire ou faire au travail par exemple ?

Depuis 1991 j’ai une vie normale, je suis stabilisé, toujours avec des fluctuations d’humeur, mais contrôlable. Je suis un hypersensible, les émotions restent longtemps en moi. En 1994 j’obtiens une évolution de carrière, je suis responsable d’un secteur. Le travail est intéressant, je dispose d’une autonomie dans le travail, mais c’est stressant. Dans les périodes de stress importantes, j’avais toujours du Lexomil a portée de main. Mais je me suis accroché à ce poste, ne voulant pas revenir en arrière, ce qui aurait été vécu comme un nouvel échec pour moi.

Je pense que j’aurais dû en parler à ma hiérarchie, en raison de la maladie j’ai eu des périodes compliquées, stress, angoisse, énervement, irritabilité, ou manque d’énergie. Mes collègues de travail et surtout mon épouse subissaient parfois les conséquences.

La retraite

Mars 2014 : la retraite, fini le stress, les soucis liés au travail, je suis heureux les premiers mois. Je ne fais pas grand-chose de mes journées. Je suis toujours suivi par le même psychiatre. (Pour moi, Je vais le consulter pour un renouvellement d’ordonnance, d’ailleurs je ne me suis jamais senti en adéquation avec lui).

A la fin de l’année, je perds mes repères et je fais une confusion du jour et de la nuit et me retrouve aux urgences psychiatriques à Thionville. Je demande à être transféré à Strasbourg où je suis admis le 23 décembre 2014. (Merci à l’interne qui m’a suivi a l’hôpital, qui a été super avec moi). A ma sortie, un mois après, je dois à nouveau me reconstruire après tout ce que j’ai pu dire ou faire.

J’ai vraiment compris la maladie

Février 2015. Je suis suivi maintenant au CMP à Colmar. J’ai trouvé un bon accueil de la part des médecins et de tout le personnel. Mars 2015 : par chance, une formation de psychoéducation démarre, j’ai bien sûr suivi la formation. J’ai vraiment compris la maladie, et appris à mettre des stratégies en place pour ne pas rechuter.

Pendant la psychoéducation on a pu aussi parler, échanger avec médecin et psychologue, en étant compris, ce qui est rarement le cas avec les amis et la famille.

Je suis maintenant expert de la maladie : j’ai la boite à outils remplie, pour ne pas rechuter. La maladie m’appartient, l’observance du traitement, mais également l’hygiène de vie qui est aussi très importante. (Je témoigne toute ma gratitude au chef de service et au personnel du CMP 1 de Colmar). Je participe aussi à une réunion mensuelle, au CMP, pour les parents et familles.

Nous décidons d’emménager à Strasbourg fin 2015, au début, j’ai dû prendre mes repères, mais j’ai découvert une ville attractive ou il se passe beaucoup de choses et il fait bon vivre. J’ai adhéré à des associations.

Ma vie familiale

En 1990 : ma rencontre avec celle qui allait devenir plus tard mon épouse ; j’étais dans une phase dépressive, au début je pensais que cela serait juste une aventure. Je lui ai dit que j’avais eu de sérieux problèmes de santé, elle voyait bien que je tremblais, mais je ne lui pas dit que j’étais maniacodépressif – ne le sachant pas moi-même. Puis on s’est revus un peu plus souvent, elle était dans un divorce difficile, mais ce qui m’épatait c’était son énergie, une battante. Au fil des mois et des années, je vivais presque tout le temps chez elle avec ses deux enfants.

En 1995 nous avons un grand projet, avoir un enfant, mais cela ne ce réalisera pas.

Novembre 1996 : notre mariage : un grand bonheur évidemment. Je suis stabilisé mais toujours des périodes avec des changements d’humeur, mais contrôlables.

J’ai toujours été un gros fumeur, En 2001 j’arrête de fumer. Les premiers mois sont difficiles. Je suis très tendu, au travail et la maison, mais je bénéficie rapidement des bienfaits de l’arrêt du tabac sur la santé. Mais que ce fut difficile le temps du sevrage pour moi et mon entourage aussi !

Je me suis remis au sport, pratiquant beaucoup la course à pieds seul ou en club. Après chaque entraînement, ma récompense fut les endorphines libérées par le cerveau avec un effet bénéfique sur le stress et l’anxiété pendant bonne une partie de la journée. Ce sport m’apporta beaucoup pour mon psychisme

Au fil du temps mon désir sexuel s’éteint surtout dans les phases basses, peut-être dû à mon travail stressant, au traitement, à l’arrêt du tabac ou bien au fait que je suis un hypertendu pensais-je? Mon épouse le vit mal

Mon épouse souhaitait une thérapie de couple, j’aurais dû l’écouter…

Mon épouse a beaucoup de mérite de vivre avec moi. Je peux changer d’humeur rapidement : je suis tantôt Dr Jeckill et Mr Hyde. Je gère mal mes émotions, elles restent longtemps en moi. J’ai parfois du mal à prendre du recul devant l’événement, le moindre obstacle est infranchissable, et je dis parfois des choses dans l’action que je regrette aussitôt, mais qui laissent parfois des traces.

Notre rencontre, puis notre union a été vraiment un équilibre, le régulateur qui me manquait aussi. Et mon épouse m’a toujours soutenu, même si elle ne comprend pas bien la maladie.

Trente ans de troubles bipolaires

J’ai toujours travaillé, je me suis marié. Mais par périodes j’ai eu une vie hachée et compliquée. Je sais que la maladie bipolaire est chronique et je reste vigilant, je l’ai appris à mes dépens en 2014 (en retraite, perte de mes repères et hospitalisation).

L’entourage proche est également très important dans la maladie

J’ai une vie heureuse, malgré la maladie mieux même que certaines personnes qui sont frustrées. L’entourage proche est également très important dans la maladie, je pense à ma mère, à mes frères, à ceux qui m’ont soutenu et à mon épouse.

Depuis que l’on dit « bipolaire » – avant on disait maniacodépressif – la maladie est devenue tendance, les médias, la presse, artistes, peoples parlent de la maladie ou se disent bipolaires. Mais la maladie reste mal connue, et prête à confusions et amalgames.

La maladie bipolaire est difficile mais quand on se soigne, cette vie peut être vivable, même heureuse. Quand on ne se soigne pas elle est souvent terrible, invivable.

« La vie mérite d’être vécue, la vie c’est comme une bicyclette, il faut avancer pour ne pas perdre l’équilibre. » Albert Einstein.

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