Témoignage d’Alice

Je viens d’apprendre l’exemple d’un médecin qui est bipolaire ; il a masqué sa maladie à tout le monde pendant longtemps et cela a marché. Et puis il a fini par décompenser. J’en étais estomaquée. Finalement, à quoi cela lui a-t-il servi ? C’est hyper dangereux…

Quand les gens apprennent qu’on est bipolaire, cela provoque chez eux de l’incompréhension. Il y a entre nous une différence, un décalage. Quand je révèle ma situation cela change leur regard ; je ne me révèle qu’à des gens intelligents avec qui j’ai déjà un rapport de confiance.

On parle de « dédramatiser la maladie » ; la maladie est un drame ; peut-on dédramatiser un drame ?

En fait on donne le change. C’est très fatigant. Je ne suis moi-même que très rarement, ce serait trop révéler. Quand je suis mal, ce serait trop faire partager. Le matin quand je me lève, je me prépare pour la journée où je vais rencontrer tous ces gens ; je me formate.  J’ai beaucoup de fluctuations. Quand je vais mal, je veux protéger mes proches, j’arrive à me maîtriser, je ne partage pas le côté sombre.
Je suis en traitement depuis huit ans. J’ai eu un accident de voiture à l’âge de 16 ans et ma mère m’a dit que j’ai changé après cela. J’avais des pensées suicidaires. J’écrivais à ma mère des poèmes avec mon sang.

A présent j’arrive à maîtriser mes pensées suicidaires, surtout depuis que j’ai ma fille. Pourtant, même si j’ai tout ce qui est positif, dans ma vie, cela demande une énergie de malade ! Je ne veux pas augmenter le traitement que je prends, je ne veux pas être fatiguée, rendue plus « molle », avoir la sensation de ne pas gérer mon esprit.

J’ai la chance de pouvoir faire équipe avec mon médecin. J’ai une nouvelle psychiatre qui préfère la psychanalyse et la psychothérapie, avec une dose de médicaments pas trop forte. J’ai aussi une psychologue. Je les vois en alternance une semaine sur deux. Elles sont complémentaires toutes les deux. Pendant mes entretiens avec elles, je peux être moi-même. J’en ressors rassurée, rechargée. C’est un échange.

J’exerce une profession libérale dans le domaine médical. Mon travail m’a aidée à prendre conscience de mon état, à prendre conscience d’accepter pourquoi moi, je suis affectée. Je ne voulais pas devenir comme ma mère, qui n’a jamais été diagnostiquée mais devait être bipolaire. C’est cela qui m’a poussée à me faire soigner.
Il faut avoir envie de s’en sortir par soi-même. Sinon les traitements ne marcheront jamais.

J’ai la chance paradoxale de ne pas avoir une famille qui m’entoure ; j’ai donc été obligée de décider de m’en sortir seule.
L’entourage peut aggraver la situation s’il a trop d’empathie ; il devient co-dépendant. Si j’avais été cocoonée est-ce que je me serais laissée allée ? Je me serais peut-être suicidée ? Car c’est le cheminement de cette maladie.

Cela me fatigue beaucoup d’être obligée de me maîtriser ; combien d’années encore est-ce que je le pourrai ?

J’arrive à gérer ma vie professionnelle parce que je suis de passage chez les gens. Je passe inaperçue. En revanche j’aurais du mal à travailler en équipe.
Dans mes relations de couple, quand j’annonce la situation, les réactions sont diverses. L’autre peut être dissuadé, ou bien « m’attendre au tournant ». Mon psychiatre m’a dit un jour : « On vous aimera justement pour votre maladie, qui fait ce que vous êtes. » Pour moi, je me mets dans la position de l’autre ; je comprends que je me poserais des questions.  Certains peuvent se méfier tout-à-coup : « Tu risques de me faire mal ? ». J’admets qu’au quotidien c’est invivable. Il me faudrait un aidant ! je suis capable de grandes maladresses dans la cuisine, par exemple.
Ma fille, elle, a l’habitude de mon état ; elle m’a toujours vue comme cela, elle ne dramatise pas quand je passe une journée entière dans mon lit.
Les nécessités économiques, plus le regard des gens, m’obligent à structurer ma vie.

« Pour vivre heureux, vivons cachés » ? Je suis en ce moment en pleine évolution.

Je ne voudrais surtout pas être hospitalisée. Les structures hospitalières sont mal adaptées ; les personnes souffrant de troubles bipolaires devraient être hospitalisées à part.

La victoire, c’est de gérer la situation. C’est de dominer la maladie, d’être plus fort qu’elle.

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